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La tuerie de la préfecture de police relance le débat sur la détection des signes de radicalisation

Alors que l'enquête suit son cours, la tuerie commise à la préfecture de police jeudi a relancé le débat sur la détection des signaux de radicalisation parmi les agents de service public. Un rapport parlementaire avait été remis sur le sujet en juin.

L’attaque meurtrière commise à la préfecture de police jeudi 3 octobre a relancé le débat sur le repérage des "signaux faibles" de radicalisation. Comment Mickaël Harpon, l'employé de la préfecture de 45 ans qui a tué au couteau quatre fonctionnaires avant d'être abattu a-t-il pu échapper aux radars ? Lui, l’agent administratif habilité "secret défense" qui travaillait à la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) ? Lui qui s’était converti à l’islam il y a une dizaine d’années et fréquentait des membres de la mouvance salafiste ? Lui encore qui, en 2015, avait déclaré à un collègue "c’est bien fait" à propos de l'attentat de Charlie Hebdo, comme le mentionne un rapport rédigé le 5 octobre 2019 par la directrice du renseignement de la préfecture de police, Françoise Bilancini et révélé par France Inter ? C’est à toutes ces questions que l’enquête devra répondre après le flottement des premières heures. La porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye avait mis en garde au lendemain de l’attentat contre "les élucubrations sur les réseaux sociaux", soulignant qu'il n'y avait "pas d'indication sur une éventuelle radicalisation". Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner avait lui déclaré dans un premier temps que l’individu n’avait "jamais présenté de difficultés comportementales" avant de se raviser et de reconnaître, lundi sur France Inter, un "dysfonctionnement d’Etat" mais pas un "scandale d’Etat".  Entre temps, le parquet national antiterroriste s’est saisi de l’affaire. 

Des signaux faibles restés lettre morte

"L’anomalie, la faille, c’est qu’à ce moment-là (l’incident de 2015, ndlr), il n’y a pas eu de signalement, il n’y a pas eu d’enquête", pointe Christophe Castaner. "Il n’y a pas eu d’alerte au bon niveau et de façon suffisante lors de cette discussion depuis juillet 2015." Même si le fonctionnaire a été suivi, "il y a quelques semaines" encore, par "un responsable de la sécurité intérieure de la préfecture de police", précise le ministre. "Les signaux d'alerte auraient dû être suffisants pour déclencher une enquête en profondeur", a-t-il estimé.

Il plaide pour un "signalement automatique" en cas de soupçon de radicalisation. La note de Françoise Bilancini indique que "plusieurs collègues de l'intéressé ont ainsi révélé avoir noté dans le passé, chez l'intéressé, des signes de radicalisation, et déclarent en avoir alerté leur hiérarchie ou pris conseil auprès de collègues spécialistes de ces problématiques". Mais ces informations n’ont été portées à sa connaissance après l’attaque de jeudi que "dans le cadre de discussions informelles".

Samedi, le Premier ministre a annoncé avoir saisi l’inspection des services de renseignement pour vérifier si les procédures de détection de la radicalisation "étaient en place" au sein de la direction du renseignement de la préfecture de police, et si elles ont "donné lieu à des réactions appropriées". "Aucun signal ne peut être méconnu ni rester sans réponse", souligne Edouard Philippe, dans un communiqué, appelant à "resserrer les mailles du filet".

Sous le feu des critiques, le ministre de l’Intérieur devra s’expliquer devant le Parlement cette semaine : mardi, il sera entendu à huis clos par la délégation parlementaire au renseignement avant de répondre aux députés lors des questions au gouvernement. Deux jours plus tard, il sera auditionné par la commission des Lois du Sénat.

Une trentaine de policiers radicalisés

Depuis les attentats de 2015, la question de la détection des signaux faibles, se pose avec acuité. "Dans la police, sur les 150.000 agents, le directeur général de la police nationale dit qu’il y en a une quinzaine de suivis pour radicalisation. Je dirai plutôt une trentaine", a déclaré samedi sur Europe 1 le député Éric Diard (LR, Bouches-du-Rhône), auteur d’un rapport publié en juin sur la radicalisation au sein du service public (sur le sujet voir notre article du 26 juin 2019). "Au niveau de la préfecture de police, sur 43.000 agents, une quinzaine étaient suivis pour radicalisation", indique-t-il.

Le rapport du député, co-écrit avec Eric Poulliat (LREM, Gironde) montre que toutes les administrations ne se sont pas adaptées au même rythme. Avec la loi du 22 mars 2016 dite "Savary" qui permet le criblage des salariés via neuf fichiers (antécédents judiciaires, FSPRT, FPR…), les sociétés de transports ont été les premières à réagir. En 2017, une structure rattachée à la police a été spécialement créée pour mener ce criblage. Il s’agit du Sneas (Service national des enquêtes administratives de sécurité). Son rôle : détecter les profils suspects dans les postes sensibles (les conducteurs ou contrôleurs des sociétés de transport, les policiers, militaires et même les hauts fonctionnaires…). En 2018, le Sneas a mené 318.464 enquêtes : 317.979 n’ont fait l’objet d’aucune objection mais 485 ont conduit à un avis d’incompatibilité, dont 116 dans les transports publics et 5 dans la police.  Les députés recommandaient toutefois de renforcer les moyens du Sneas (qui ne dispose que de 23 agents et 5 réservistes) et d’élargir son criblage à "l’ensemble des métiers de sécurité et de souveraineté". Dès 2019, le Sneas devrait intervenir sur l’agrément des policiers municipaux, les transporteurs de fonds, le port d’arme des agents de sécurité privée, l’accès aux points d’importance vitale, l’accès aux zones d’accès restreint aéroportuaires mais aussi sur l’examen des demandes d’asile ou les recrutements au sein de l’administration pénitentiaire.
La présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse a estimé, lundi sur Europe 1, que la radicalisation devait être considérée comme une "incompatibilité professionnelle" susceptible de déclencher un licenciement.

 

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